samedi 12 décembre 2009

Les hommes

Il y a les hommes-troncs, les hommes-valises, les hommes-citernes, les hommes-bicyclettes dont les roues font office de jambes et moulinent l’avenue, les hommes souples, on les voit arriver ils sont au ras du sol, leurs jambes font des tours, des huit, des figures libres, ce sont les plus étranges leurs jambes sont déliées, elles s’écartent et elles s’ouvrent, elles raclent le sol, noires, et l’homme, juché sur ses mains, est au-dessus, à côté. Il y a les hommes-planches, dont le bassin roule sur une jolie planchette de bois obscur – ils ont, chance, leurs mains libres pour mendier. Il y a l’estropié recomposé, qui lance avec ferveur sa prothèse sur le bitume, l’amputé qui attend encore son tour sur le banc de l’hôpital de Jaipur ou d’ailleurs, entouré de ses compagnons d’infortune. Il y a, dans un recoin de la ville, l’homme-gorille, dont le haut du corps a été, par un mécanisme à rebours de l’histoire, jeté vers l’avant et le sol, qui n’a plus que ses deux poings serrés pour prendre appui sur la terre et retrouver l’équilibre.
C’est qu’on le perd beaucoup, ici.