samedi 31 octobre 2009

Et je crois bien que l'on s'enfonce dans la nuit noire du monde.

vendredi 9 octobre 2009

Louche

Ah oui, ça me revient, c’était de ce livre, là, dont je voulais causer. Je l’ai aimé, beaucoup même, mais vous savez ce que c’est, entre une chose et l’autre, on s’égare, on se disperse, et en un clin d’œil le livre se retrouve au bas d’une pile, et allez savoir laquelle, car il est tard et on s’allume à la chandelle. On regarde… Le titre, pourtant, il était pas mal – tiens, le voilà : Un homme louche. Une nouveauté, un premier roman, même, publié par ces jolies éditions Verticales, qui, comme leur nom l’indique, nous font tenir debout – enfin, parfois, car l’alcool, lui aussi, est fort. C’est un jeune Lyonnais, François Beaune, qui a commis ce livre, et on ne peut lui en vouloir : il a eu le mérite, rare, de nous faire rire. Sourire. Pouffer aussi. De quoi ça cause ? D’un type normal, d’un adolescent peut-être un peu asocial, dans un monde peut-être un peu brutal, qui remplit un carnet pour y consigner, durant l’année de ses quatorze ans, ses observations, les va-et-vient de son drôle d’entourage. Ce Jean-Daniel, il voit tout, bien sûr, les lâchetés de ses parents et les métamorphoses de sa sœur, les bassesses diverses, le gris partout, mais il n’en dit rien, il ne pipe mot, de peur d’être découvert. Il agit en infiltré. Il est l’agent double. Il veut "tout comprendre pour tout détruire à la base". Quelque chose de grand se prépare dans l'ombre, sous les riffs de hard-rock autrichien. Tout le monde le croit fou – l’est-il vraiment ? Qui des deux est le plus fou, l’homme qui crie ou la société qui appuie ?

Il est drôle, Jean-Daniel, il pique à tous les coups, mais le lecteur est bien le seul à le savoir, et les médecins finiront par avoir sa peau. Le premier cahier s’achève sur son internement. Le deuxième s’ouvre, vingt-cinq ans plus tard, sur un paysage désolé. L’ironie mordante a fait place à une grande sécheresse du regard. Jean-Daniel vit à Lyon, avenue Berthelot, et il est seul. Il n’a pas abandonné son œuvre, l’observation de ses contemporains, mais il n’en rit plus, il constate, froidement, on dirait même qu’il pleure, parfois, dans l’ombre, en silence. Son fils, qu’il surveillait ce jour-là, est tombé/s’est jeté par la fenêtre. Sa femme, elle, est descendue par les escaliers. Lyon est bien triste, l’avenue Berthelot bien droite, et les filles marchent seules. Il écrit ce deuxième cahier, sans y croire, pour se prouver, sans doute, qu’il existe encore. Pour combien de temps?

On voulait en parler, de ce bouquin, ça y est, ça me revient, parce qu’il y a là un ton, un regard, rares, acérés. Un drôle de vide derrière l’ironie. Une vraie nausée du monde derrière les jours et les yeux. Ce n’est pas l’histoire d’un fou, c’est l’histoire, banale, de la réalité qui écrase, du monde qui est une tombe, et qui nous regarde nous ébattre jusqu’au désastre final. Courage, rions !